6.6.2025
4 minutes

Comment l’accessibilité numérique impacte l’expérience utilisateur ?

Et si l’accessibilité numérique était la clé d’une meilleure expérience utilisateur pour tous ?

Témoignage de Mathieu Froidure, président d’Urbilog Compéthance EA et utilisateur aveugle. Il navigue chaque jour sur le web grâce à sa synthèse vocale.

La norme peut-elle changer l’expérience utilisateur de millions de personnes “empêchées de » ?

La réponse n’est pas aussi simple, d’où la rédaction de cet article blog.  Les normes, c’est bien. Mais ce qui change réellement l’expérience utilisateur, c’est ce qu’on en fait. 


Les normes d’accessibilité : un cadre, pas une finalité

L’accessibilité numérique aujourd’hui c’est une norme, que dis-je, ce sont des normes et guides de bonnes pratiques.  

Nous avons tout d'abord les WCAG (Web Content Accessibility Guidelines), élaborées par le milieu associatif international, dont la première version date de 1999 et complétées aux États-Unis, par le VPAT (Voluntary Product Accessibility Template), lui-même issu de l’ADA (Americans with Disabilities Act).

Ensuite nous avons, en France, le RGAA (Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité) dont la première version a été créée en 2009 sur l’impulsion de la loi française du 11 février 2005. Pour les précurseurs, ce référentiel est largement inspiré d’AccessiWeb, issu du milieu associatif français.

Enfin, nous avons en Europe l’EN301549 qui s’appliquera notamment à partir du 28 juin 2025 sur l’ensemble du territoire Européen.  

Ce sont des outils incontournables. Mais ils ne suffisent pas à garantir une bonne expérience utilisateur. Un site peut être conforme, tout en restant difficile à utiliser pour une personne en situation de handicap.


Conformité versus expérience utilisateur réussie

Prenons l’exemple d’un formulaire en ligne. Si nous reprenons le RGAA - qui possède 106 critères répartis sur 13 thématiques - la gestion des erreurs est bien appréhendée et son application va notablement modifier l’expérience utilisateur. En effet, en travaillant la conformité, le site ou l’application devra mettre en exergue les erreurs et y apporter une identification autre qu’uniquement visuelle.

Mais la vraie amélioration de l’expérience utilisateur serait surtout de travailler la simplicité de la demande en minimisant par exemple le nombre de questions.

Exemple de cette simplification dans un formulaire e-commerce lors de la création d’un compte. Souvent on nous demande un e-mail, un nom, un prénom, une adresse, un numéro de téléphone et pourquoi pas le genre ! Mais tant que nous n’avons pas identifié notre intérêt pour un produit ou un service, je ne suis pas certain que toutes ces informations soient primordiales. Si nous préfèrons venir chercher notre produit en magasin, l’adresse est-elle indispensable ? Pourquoi poser 12 questions alors que 3 suffisent à démarrer l’expérience client ?L’accessibilité numérique, c’est aussi penser parcours utilisateur. C’est simplifier, clarifier, alléger. Et ça profite à tout le monde.


Le cas du e-commerce

Un site e-commerce alimentaire dispose en général d’un catalogue de plusieurs milliers de produits. Le panier moyen se situe entre 30 et 60 produits. Si nous nous limitons à la page de promotions, nous sommes souvent déjà sur plusieurs centaines de produits.  

Un utilisateur lambda visualise les pages en quelques secondes, repère les promotions en un coup d’œil. Pour une personne utilisant une synthèse vocale, le parcours est tout autre :

Pour chaque produit, c’est souvent neuf informations à écouter : visuel produit, nom du produit, prix du produit, prix à la quantité, type de promotion, provenance, avis produit auxquels se rajoutent les actions : ajout au panier et souvent ajout à une liste. Avec 1000 produits multipliés par 9 interactions, c’est souvent long et épuisant... L’expérience utilisateur est désagréable, même si le site respecte les normes.


Le cas des places numérotées

Autre exemple concret : la réservation de places pour un concert ou un spectacle.

Pour des raisons de confort et d’agrément, quand nous sommes sur un site de réservation, un plan de salle est souvent proposé, indiquant les places disponibles et celles qui ne le sont plus. Pour respecter la conformité, chaque place est identifiée avec les informations utiles : numéro, prix, spécificité, disponibilité, etc.

Souvent les places non disponibles sont grisées sans alternative vocale. Donc je dois écouter chaque ligne pour entendre que celle-ci est "non disponible". Pourquoi me la lire si je ne peux pas la réserver ? Une perte de temps énorme. Imaginez le temps nécessaire pour choisir 2 ou 3 places de concert ! Il faut penser usage, pas juste conformité.


Le calendrier : une difficulté supplémentaire pour une personne qui n’a pas l’usage de la souris

Prenons un dernier exemple sur un registre différent : l’utilisation d’un calendrier en ligne, souvent conçu pour la souris. Chaque mois possède environ 30 jours sur lesquels sont positionnés des évènements.

Sans souris, je dois tabuler 30 fois pour atteindre le bon jour ; et pour interagir sur les évènements, parcourir chaque jour du mois. Et ainsi recommencer le mois suivant...

La présentation, non pas du calendrier mais juste d’un agenda, peut se révéler très efficace et limiter l’utilisation de la touche « tab » qui permet de parcourir l’interface de lien en lien. Là encore, changer le format pour un agenda listé est plus simple, plus rapide et plus inclusif.


Penser usage avant conformité

Tous ces exemples montrent que dans certains cas, l’interface utilisateur doit être améliorée pour satisfaire, non pas la norme, mais la capacité à rendre une démarche pleinement utilisable. Le fait de faire reposer la totalité de l’interaction sur une approche essentiellement visuelle avec une interaction d’une souris ou d’un touch peut se révéler complexe à appréhender pour certains utilisateurs « empêchés de ».

L’accessibilité, c’est parfois retravailler son interface homme/machine pour la rendre plus robuste et résiliente.


Concevoir autrement : pas contre, mais avec

L’accessibilité numérique ne doit pas être vécue comme une contrainte technique, mais comme une opportunité de mieux faire.

Pour cela, il faut intégrer l’accessibilité dès la conception. Penser parcours utilisateurs, scénarios d’usage, limiter les frictions. Et écouter les retours, au lieu de les redouter.  

On écoute les irritants. On partage les bonnes pratiques. Et surtout, on co-construit des solutions. Chez Urbilog Compéthance EA, notre réflexion va au-delà des critères. L’équipe, composée en grande partie de collaborateurs en situation de handicap, teste les interfaces en conditions réelles.  


De l’accessibilité numérique à l’utilisabilité

Quand on améliore l’accessibilité numérique, on améliore l’expérience de tous. Pas juste des personnes en situation de handicap.

C’est un point souvent sous-estimé. Un site accessible, bien structuré, clair, navigable au clavier, avec des parcours simplifiés, peut aussi profiter par exemple :

  • aux utilisateurs seniors,
  • aux personnes fatiguées ou pressées,
  • à celles qui utilisent un smartphone dans les transports.

Et bien sûr, cela améliore le SEO et réduit le taux de rebond.

Mais n’oublions pas que l’accessibilité numérique n’est pas un état, c’est une démarche continue !

Accessiblement vôtre,

Mathieu Froidure, aveugle et président d'Urbilog Compéthance EA

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